Mycetome pulmonaire a Pseudallescheria chez une femme de 48 ans souffrant de bronchiectasie [Pratique]

Points clés

Pseudallescheria boydii, un champignon présent dans l’environnement, est une cause de mycétome, particulièrement chez les malades immunovulnérables ou atteints d’une maladie pulmonaire structurelle.

Le mycétome à P. boydii est souvent confondu avec l’aspergillome en raison de leurs tableaux cliniques non spécifiques et de leurs signes radiographiques similaires.

Une batterie complète de tests microbiologiques est requise pour diagnostiquer l’infection à P. boydii, y compris un examen microscopique direct des éléments fongiques et une culture fongique comme analyses standards.

Les malades atteints de pseudalleschériose pulmonaire ont un pronostic sombre s’ils ne sont pas traités; le traitement repose sur la résection chirurgicale et l’administration d’un traitement antifongique prolongé pour les personnes qui ne sont pas candidates à la chirurgie.

Une femme de 48 ans originaire de l’Asie du Sud-est a été dirigée vers notre centre de soins tertiaires après la découverte fortuite, lors de son examen médical de routine à l’immigration, d’une bronchiectasie aux 2 bases à la radiographie pulmonaire (figure 1) et de résultats positifs à l’égard de Mycobacterium abscessus à l’une de ses 3 cultures d’expectorations. Elle n’avait jamais fumé et ses antécédents médicaux notables ne comportaient qu’un diabète de type 2 maîtrisé au moyen d’hypoglycémiants oraux. Elle ne présentait ni toux ni expectorations ni hémoptysie ou dyspnée grave et ne manifestait pas de signes généraux. Elle n’avait aucun antécédent de pneumonie grave ou à répétition ni de symptômes de maladie des tissus conjonctifs et n’avait pas été exposée à des substances dangereuses dans son travail ou son milieu de vie.

Figure 1:Figure 1:Figure 1:

Radiographie pulmonaire (A) postéro-antérieure et (B) latérale chez une femme de 48 ans atteinte d’un mycétome pulmonaire à Pseudallescheria, montrant une bronchiectasie cylindrique et kystique aux 2 lobes inférieurs (flèches blanches).

À l’examen initial, la patiente était apyrétique, sa fréquence cardiaque était à 82 battements/min, sa tension artérielle était à 115/74 mm Hg et sa saturation en oxygène était à 98 % à l’air ambiant. Nous avons entendu des crépitements aux 2 bases qui persistaient à la toux profonde. Elle ne présentait pas de lymphadénopathie de l’aire cervicale, d’anomalies des ongles ou d’hippocratisme, d’œdème périphérique ou d’éruptions cutanées.

Pour découvrir la cause de sa bronchiectasie, nous avons demandé une formule sanguine complète avec différentielle, une sérologie auto-immune pour dépistage de maladies des tissus conjonctifs, un dosage de l’α-1 antitrypsine pour dépistage d’une maladie pulmonaire structurelle héréditaire, un dosage des immunoglobulines et le dépistage du VIH pour tout trouble d’immunodéficience, un test QuantiFERON-TB Gold pour dépistage d’une tuberculose latente et des analyses et cultures des expectorations pour dépistage de bactéries, champignons et bacilles acido-résistants afin de débusquer une possible infection pulmonaire sous-jacente (tableau 1). Mycobacterium abscessus a de nouveau été isolé dans les cultures d’expectorations et toutes les autres analyses étaient normales.

Tableau 1:

Analyses de laboratoire et microbiologiques initiales

Pour mieux caractériser l’étendue et la gravité de la bronchiectasie, nous avons demandé une tomodensitométrie (TDM) de haute résolution qui a montré une bronchiectasie varicoïde et kystique étendue aux 2 lobes inférieurs et un nodule de tissus mous internes imprévu avec signe du croissant gazeux au lobe inférieur droit faisant craindre un mycétome (figure 2). Nous avons par la suite procédé à une bronchoscopie pour obtenir des échantillons de lavage bronchoalvéolaire dans lesquels on a pu isoler le complexe Pseudallescheria boydii. Les cultures pour dépistage d’Aspergillus et un test de dépistage de l’antigène galactomannan à partir du liquide de lavage bronchoalvéolaire se sont révélés négatifs.

Figure 2:Figure 2:Figure 2:

Tomodensitométrie de haute résolution chez une femme de 48 ans atteinte d’un mycétome pulmonaire à Pseudallescheria montrant (A) une lésion nodulaire intraluminale avec signe du croissant gazeux dans la bronche sous-segmentaire du lobe inférieur droit et (B) anomalies bronchiestasiques varicoïdes et kystiques graves aux 2 bases pulmonaires associées à Pseudallescheria boydii à la culture des spécimens prélevés lors de la bronchoscopie.

Ces résultats microbiologiques et radiographiques nous ont orientés vers un diagnostic de mycétome pulmonaire à Pseudallescheria accompagné de bronchiectasie causé par une infection chronique à M. abscessus. Étant donné que les tests de fonction pulmonaire et les examens radiographiques montraient une bronchiectasie stable, notre prise en charge a principalement visé la pseudalleschériose pulmonaire, en raison du risque de mortalité qui y est associé. Nous avons suivi étroitement l’infection à M. abscessus. Nous avons tenté une résection endobronchique du mycétome, qui s’est révélée irréalisable en raison des importantes anomalies inflammatoires des tissus avoisinant la bronche. Nous avons demandé l’opinion du service de chirurgie qui, en raison de l’infection concomitante à M. abscessus, a jugé que la patiente se trouvait exposée à un risque élevé de complications postopératoires. Nous avons donc opté pour une prise en charge médicamenteuse de la pseudalleschériose par voriconazole oral (200 mg, 2 fois par jour) et nous avons surveillé ses taux sériques de médicament.

Six mois après le début du traitement par voriconazole, nous avons à nouveau tenté la résection endobronchique, mais nous n’avons pas pu accéder au mycétome. Pseudallescheria était absent des analyses subséquentes du liquide de lavage bronchoalvéolaire, mais M. abscessus était toujours présent. Nous avons demandé l’avis d’une équipe multidisciplinaire pour un traitement définitif du mycétome, y compris une deuxième opinion chirurgicale. Or, étant donné l’état relativement asymptomatique de la patiente, la colonisation par M. abscessus et l’importante maladie pulmonaire structurelle sous-jacente, on a jugé que les risques associés à une éventuelle résection chirurgicale du mycétome en dépassaient les avantages. La patiente a pris le voriconazole oral pendant 20 mois puis est passée à un traitement suppressif continu de son mycétome à Pseudallescheria par itraconazole (200 mg, 2 fois par jour). Elle a continué les traitements de physiothérapie respiratoire réguliers pour dégager ses voies aériennes et a reçu des vaccins antigrippaux annuels, des rappels de vaccins anti-SRAS-CoV-2 et le vaccin Pneu-P 23 pour prévenir les exacerbations de sa bronchiectasie. Une TDM effectuée 12 mois après son passage à l’itraconazole a montré que le mycétome et la maladie pulmonaire structurelle étaient stables (figure 3).

Figure 3:Figure 3:Figure 3:

Cliché d’une tomodensitométrie de suivi chez une femme de 48 ans souffrant de mycétome pulmonaire à Pseudallescheria, montrant (A) un mycétome stable au lobe inférieur droit et (B) une bronchiectasie grave persistante au lobe inférieur gauche.

Discussion

Pseudallescheria boydii (téléomorphe de Scedosporium apiospermum) est un champignon saprophyte filamenteux omniprésent qui devient un agent pathogène opportuniste doté d’une résistance inhérente aux antifongiques1. Il est présent dans certains environnements: présence de fumier, pollution, zones industrielles, présence de matières en décomposition, terres agricoles, fertilisants, eaux d’égout et eaux stagnantes ou croupies1. Le champignon est présent dans les environnements osmotiques, comme les endroits souillés d’excréments de chauve-souris séchés et les poulaillers, et même dans des milieux strictement anaérobies, comme le fond des étangs et la matière ligneuse submergée des estuaires1. Pseudallescheria boydii est rarement isolé chez des personnes indemnes de toute maladie pulmonaire structurelle sous-jacente, mais l’agent pathogène n’est pas rare dans les cas de mucoviscidose où il arrive au deuxième rang des infections fongiques les plus répandues après Aspergillus fumigatus, avec une prévalence de 5,7 %–10 %2.

Les tableaux cliniques de l’infection à P. boydii sont divers et non spécifiques, allant de la colonisation asymptomatique d’une cavité ou d’un kyste pulmonaire ou d’une bronchiectasie préexistants, jusqu’à une maladie localement envahissante (p. ex., pénétration saprophytique et destruction des tissus pulmonaires, pseudalleschériose broncho-pulmonaire allergique, mycétome à Pseudallescheria ou masse fongique) ou parfois, à des infections généralisées, particulièrement chez les malades immunovulnérables (p. ex., pneumonie, endocardite, infection du système nerveux central et de l’appareil musculosquelettique et abcès à Pseudallescheria)1,3. Des infections pulmonaires envahissantes à P. boydii ont été observées chez des patients immunocompétents et devraient être envisagées chez les personnes qui ont frôlé la noyade ou ont été victimes de catastrophes naturelles, particulièrement si elles ont des signes cliniques de pneumonie ou d’abcès cérébral4.

Il est crucial d’identifier rapidement Pseudallescheria et de le distinguer des autres agents pathogènes fongiques, car leurs profils respectifs de virulence et de sensibilité aux antifongiques diffèrent substantiellement. Toutefois, le diagnostic d’infection à Pseudallescheria est complexe en raison des caractéristiques cliniques et histopathologiques communes à Aspergillus, Fusarium et autres hyphomycètes hyalins dont la symptomatologie clinique permet difficilement de les distinguer. La caractérisation par microscopie et culture fongique directe et profilage moléculaire de l’ADN fongique à partir du séquençage des espaceurs internes transcrits ou de la β-tubuline peut offrir une meilleure clarté diagnostique1, même si ces approches ne sont pas toujours accessibles dans la pratique clinique. À la radiographie pulmonaire, la pseudalleschériose peut prendre l’aspect de nodules, d’infiltrats alvéolaires, de consolidations ou de cavitations3,5. Comme avec l’aspergillome envahissant, le halo ou signe du croissant gazeux, indice d’une masse fongique, s’observe à l’imagerie transversale dans les cas de mycétome pulmonaire à Pseudallescheria6; Pseudallescheria et Aspergillus présentent de nombreuses similitudes cliniques, histopathologiques et radiographiques, mais il est important d’établir un diagnostic définitif, car leur prise en charge et leur pronostic diffèrent.

Sans traitement, une masse fongique à Pseudallescheria peut entraîner des infections à répétition et d’autres complications, notamment la septicémie et autres infections disséminées. Le débridement ou la résection chirurgicale est au cœur du traitement du mycétome pulmonaire à Pseudallescheria. Certains centres spécialisés peuvent offrir une ablation endoscopique moins effractive des mycétomes pulmonaires intracavitaires chez les personnes qui ne sont pas candidates à la chirurgie7.

Dans la plupart des cas, les antifongiques pénètrent peu les masses fongiques, ce qui peut entraîner une résistance aux médicaments, surtout lors de traitements prolongés. Le traitement antifongique doit néanmoins être amorcé lorsque les risques associés à la chirurgie excèdent les avantages escomptés (p. ex., en présence de comorbidités ou d’une infection à Pseudallescheria) ou si la résection chirurgicale est retardée. Toutefois, comparativement à d’autres causes de mycétome, Pseudallescheria présente des degrés élevés de résistance intrinsèque à de nombreux antifongiques, dont l’amphotéricine B, la flucytosine, le fluconazole, la terbinafine et le kétoconazole1. De plus, compte tenu de l’absence de lignes directrices thérapeutiques, la prise en charge du mycétome pulmonaire à Pseudallescheria, et de l’infection à Pseudallescheria en général, repose largement sur les préférences des régions ou des établissements. Parmi les schémas thérapeutiques acceptés, mentionnons les triazoles récents comme le voriconazole (qui est généralement considéré en première intention pour P. boydii), le ravuconazole, l’isavuconazole et le posaconazole; mais ces agents s’accompagnent souvent d’effets indésirables notables8. Certaines études ont plutôt fait état de l’efficacité de l’itraconazole ou des échinocandines, dont la caspofungine, l’anidulafungine et la micafungine, qui sont mieux tolérées8,9. Chez notre patiente, le voriconazole en monothérapie a efficacement supprimé l’infection à P. boydii après 6 mois de traitement. Toutefois, comme nous la considérions à risque élevé de récurrence et de progression vers une maladie envahissante disséminée une fois le voriconazole cessé, nous l’avons fait passer à l’itraconazole dont le profil d’innocuité est plus favorable. Selon nous, elle aura besoin d’un traitement suppresseur tout au long de sa vie pour sa pseudalleschériose pulmonaire.

En terminant, le pronostic de la pseudalleschériose pulmonaire est sombre. Une revue de 189 cas a fait état d’un taux de mortalité global de 26,8 % en présence d’un mycétome à Pseudallescheria et de 57,2 % en présence d’une pseudalleschériose pulmonaire envahissante3. Pour ce qui est de l’ensemble des malades, 58,8 % de ceux qui n’ont été traités que par antifongiques sont décédés, contre 46,2 % de ceux qui ont été traités par chirurgie seulement ou par chirurgie et antifongiques. Les malades non traités sont tous décédés. Une récente revue de rapports de cas incluant 40 malades immunocompétents atteints de pseudalleschériose pulmonaire a évoqué un taux de mortalité global meilleur, soit 12,5 %10, probablement dû en partie à l’utilisation d’antifongiques plus récents, sans différence significative au plan de la mortalité entre les malades traités par chirurgie ou médicaments. Étant donné la hausse des taux de maladies fongiques, particulièrement chez les personnes souffrant de maladie pulmonaire structurelle par suite d’une infection à la COVID-1911,12, les médecins se doivent de connaître l’existence de la pseudalleschériose pulmonaire comme cause du mycétome.

La section Études de cas présente de brefs rapports de cas à partir desquels des leçons claires et pratiques peuvent être tirées. Les rapports portant sur des cas typiques de problèmes importants, mais rares ou sur des cas atypiques importants de problèmes courants sont privilégiés. Chaque article commence par la présentation du cas (500 mots maximum), laquelle est suivie d’une discussion sur l’affection sousjacente (1000 mots maximum). La soumission d’éléments visuels (p. ex., tableaux des diagnostics différentiels, des caractéristiques cliniques ou de la méthode diagnostique) est encouragée. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Renseignements destinés aux auteurs: www.cmaj.ca

Footnotes

Intérêts concurrents: Christina Thornton déclare avoir reçu des subventions de la Fondation CHEST et des organismes et sociétés Insmed Medical, Trudell Médical et Solutions de santé, de l’Université de Calgary, de la Fondation pour la fibrose kystique et de Fibrose kystique Canada, et un soutien aux déplacements de la Fondation pour la fibrose kystique. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

Les auteurs ont obtenu le consentement de la patiente.

Collaborateurs: L’auteur et les autrices ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude ainsi qu’à l’ébauche du manuscrit, ont révisé de façon critique son contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.

Traduction et revision: Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne

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