Le présent numéro du JAMC met en lumière les projections de Brenner et ses collègues1 relativement aux diagnostics de cancer au Canada en 2024. Malgré le déclin général de l’incidence du cancer et de la mortalité qui lui est associée, la croissance et le vieillissement de la population occasionneront une hausse du nombre absolu de personnes qui recevront un tel diagnostic cette année. Cette prévision est peu réjouissante, car bien des gens qui présentent actuellement d’inquiétants signes et symptômes de cancer ont déjà du mal à obtenir un diagnostic et à commencer un traitement. Il est désormais presque normal de recevoir un diagnostic de cancer au service des urgences au Canada, ce qui témoigne de l’incapacité des systèmes de santé à coordonner de façon appropriée les trajectoires de soins qui devraient être amorcées par les services de soins de santé primaires dès qu’on soupçonne un diagnostic de cancer. Au Canada, 1 personne sur 5 n’a pas de médecin de soins primaires attitré, et même parmi les personnes desservies, plusieurs déplorent une piètre accessibilité aux soins primaires2. En outre, les temps d’attente en vue d’une épreuve d’imagerie diagnostique varient grandement et pour certains malades chez qui on soupçonne un cancer, l’attente peut durer des mois3. Nous voyons à quel point il est crucial d’élargir l’accès à des trajectoires simplifiées pour le diagnostic du cancer si nous voulons nous assurer que les gains rendus possibles grâce à son dépistage et à son traitement ne soient pas réduits à néant par les inefficiences des systèmes de santé.
Entre 2012 et 2017, 26,1 % des personnes atteintes de cancer en Ontario ont reçu leur diagnostic lors d’une consultation au service des urgences ayant abouti à une hospitalisation4. En tant qu’urgentologues, nous constatons que cette proportion a substantiellement augmenté après la pandémie. Les personnes qui ont consulté au service des urgences en lien avec leur diagnostic de cancer sont souvent plus âgées, n’ont pas accès à des soins primaires et appartiennent à des minorités ou des classes socioéconomiques défavorisées par rapport à celles pour qui le diagnostic de cancer n’est pas en lien avec une visite au service des urgences5. L’issue de leur cancer est également moins favorable; par exemple, le cancer est plus avancé au moment du diagnostic et la survie globale est plus brève6.
Les personnes qui présentent les symptômes d’un possible cancer, comme une perte de poids inexpliquée ou une masse à la palpation, consultent au service des urgences parce que c’est l’un des rares endroits où il est possible d’obtenir rapidement des épreuves d’imagerie ou d’autres examens. Or, malgré la rapidité de l’accès à ces tests, un service des urgences est loin d’être un lieu idéal pour révéler à une personne qu’elle est peutêtre atteinte de cancer. Et la raison en est que les services d’urgences sont à présent presque continuellement engorgés: on y soigne les malades dans les salles d’attente, les couloirs et même les salles de rangement. Dans une étude qualitative menée auprès de malades à qui on a annoncé un diagnostic de cancer des voies digestives lors d’une visite au service des urgences, les malades ont en grande majorité qualifiée de dérangeante et inappropriée l’absence d’espace privé7. Les malades quittent en outre le service d’urgence sans certitude quant à leur suivi, leur plan de traitement et surtout leur pronostic.
Une autre raison pour laquelle les services d’urgence sont de terribles endroits où se faire annoncer un diagnostic de cancer, est que la plupart ne sont dotés d’aucun protocole pour confirmer le diagnostic, coordonner le suivi des biopsies et les autres épreuves diagnostiques souvent préalables à la consultation en oncologie8.
Les modèles à entrée unique appliqués aux demandes de consultation pour les malades soupçonnés de souffrir de cancer seraient une solution qui faciliterait la réalisation des épreuves subséquentes et améliorerait l’accès aux spécialistes par la suite. Lorsque les consultations auprès des spécialistes sont demandées par l’entremise d’un modèle à entrée unique et une approche de triage coordonnée, il s’écoule moins de temps entre la demande et la consultation, ce qui est plus satisfaisant pour les malades et les médecins qu’avant la mise en place de ce type de modèle à entrée unique9. Compte tenu de l’augmentation prévue des diagnostics de cancer et du recours aux services d’urgence pour faciliter l’accès aux épreuves diagnostiques, tous les services d’urgence devraient disposer d’un protocole unique, simple et uniformisé pour tout malade chez qui on soupçonne un diagnostic nouveau de cancer.
Pour faire face à la complexité croissante des problèmes médicaux et à la forte proportion de malades qui n’ont pas de médecin de famille attitré, les hôpitaux administrent aussi des programmes d’orientation après le congé du service des urgences pour que la prise en charge et le suivi des cas complexes se déroulent comme prévu10,11. Ces programmes s’inspirent pour une bonne part de ceux qui ont été largement mis en place pour les malades atteints de cancer12, et permettent d’atténuer leurs incertitudes et leur détresse au moyen de communications par téléphone et par courriel entre l’équipe professionnelle et les malades qui ont reçu un diagnostic présumé ou avéré de cancer lors d’une visite au service des urgences.
Les malades éviteraient les services d’urgences si l’accès aux cliniques ambulatoires qui facilitent le diagnostic d’un cancer présumé était simplifié. En Ontario, plusieurs cliniques offrent le Programme d’évaluation diagnostique (PED) pour la réalisation des batteries de tests requises en cas de cancer pulmonaire, colorectal et mammaire13. Une personne qui aurait une masse pulmonaire inquiétante à la radiographie peut être orientée vers une clinique du PED qui coordonnera les épreuves additionnelles, la biopsie et la prise en charge, au besoin. Des études menées sur le cancer du poumon en Ontario ont montré que la patientèle évaluée par l’entremise de cliniques du PED était traitée plus rapidement et avait une meilleure survie14,15. Élargir l’accès aux cliniques diagnostiques et accroître leur présence en région pourraient aider à accélérer l’établissement du diagnostic et la prise en charge.
Les projections de Brenner et ses collègues1 nous rappellent que l’efficacité de la prévention, du dépistage et du traitement du cancer réduit l’incidence du cancer et de la mortalité qui lui est associée. Il est indispensable de soutenir les efforts déployés afin de mieux faire connaître les premiers symptômes du cancer, réduire les obstacles à son dépistage et favoriser son diagnostic hâtif dans les milieux des soins primaires et hospitaliers. Il serait honteux et tragique de perdre les gains réalisés en matière de traitement du cancer en raison de l’engorgement, de la fragmentation et des problèmes d’efficience des systèmes de santé.
FootnotesIntérêts concurrents: Keerat Grewal déclare avoir reçu des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada et de l’Association canadienne des médecins d’urgence. On peut prendre connaissance des intérêts concurrents de Catherine Varner ici: www.cmaj.ca/staff
Traduction et révision: Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne
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